Chroniques

L’épreuve de la violence

Claques, morsures, coups de pied… A chaque fois, ces gestes surprennent et désarçonnent. Au fil de ma vie de père, je suis confronté à certains moments aux gestes violents que ma fille commet contre les autres, contre moi ou contre elle-même. Ils sont épisodiques, avec une alternance entre les périodes où ils surviennent plusieurs fois par jour et celles où ils disparaissent pendant de nombreux mois.

Dans le cas de l’autisme, on comprend vite que ces gestes sont révélateurs d’une difficulté qui, dans un autre contexte, se serait probablement exprimée par la parole. Lorsque cette violence surgit, chacun réagit et gère au mieux, en fonction de l’âge de l’enfant et des circonstances : là n’est pas question de juger. Ces moments sont éprouvants. Face à mon enfant, je me sens impuissant devant une détresse qu’on peine à réconforter par la voie des mots. Les larmes ne sont jamais loin.

En tant que père, le défi est double. Il s’agit avant tout d’intervenir pour éviter que les gestes violents ne fassent trop de dégâts, tant sur les personnes qui les subissent que sur Roxelane elle-même. Ces instants se chargent vite en émotion. La priorité s’impose de faire redescendre la tension, chacun à sa façon. Je parle doucement à ma fille, en baissant d’un ton ma voix masculine. J’essaie de mettre des mots sur ce que j’imagine être son désarroi. Parfois cela marche, parfois cela prend du temps.

L’autre défi est de comprendre les faits qui génèrent ces gestes. Les changements de lieu et d’habitudes sont propices à ce type d’explosion. Roxelane va mal réagir face à des contrariétés ou à des demandes trop pressantes de notre part. De façon surprenante, elle peut mal réagir même lorsqu’elle n’est pas concernée par la source de tension. Ainsi, en classe, lorsqu’un professeur hausse la voix contre un autre élève, Roxelane prend la chose pour elle. Même réaction en famille, lorsqu’une dispute survient entre ses frères. Elle ne fait pas la différence entre ce qui est destiné à autrui ou destiné à elle : comme si elle était sujette à une forme d’empathie, surdéveloppée pourrait-on croire, à l’encontre du regard habituellement porté sur les autistes.

Pour rendre les choses encore plus délicates, il faut tenir compte du temps de latence de plusieurs minutes, propre aux autistes, qui se produit entre le fait à l’origine de la violence et la survenue des gestes agressifs. Comme face à une bombe à retardement, je me retrouve en état de grande vigilance afin de détecter les situations à risques et d’anticiper l’arrivée des comportements agressifs. Dans les lieux publics, chez les amis ou la famille, impossible de rester détendu : je suis toujours sur le qui-vive. J’en sors épuisé. On se demande combien de temps on va pouvoir tenir sans craquer. La question du recours à la voie médicamenteuse pour son enfant tôt ou tard va se poser, non sans difficulté.

Que dire de l’impact à l’école et en société ? Le parcours en maternelle ordinaire de notre fille s’est écourté d’une année en raison de ces gestes violents. J’éprouve des sentiments ambivalents face à un système qui a tendance à mettre trop vite sur le côté des enfants fragiles, du fait de leur attitude agressive, et la gêne sincère que je ressens lorsque ma fille a perturbé le cours d’une classe où elle est en inclusion. 

Je me prends à rêver de voir la violence considérée comme le symptôme d’un mal-être qu’il convient de traiter à bon escient, plutôt que le critère premier et ultime du chemin d’intégration des enfants handicapés dans leur vie scolaire, sportive ou sociale.

Guillaume Kaltenbach, ombresetlumiere.fr – 18 mars 2024

Guillaume Kaltenbach est père de trois enfants dont Roxelane, 14 ans, atteinte de troubles du spectre autistique. De confession protestante, ce chef d’entreprise est impliqué dans différentes initiatives professionnelles et bénévoles visant l’amélioration de l’inclusion des personnes en situation de handicap.

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